En 2021, l’État a lancé le plan “Talents du service public” dans l’objectif de faciliter l’insertion de personnes issues de milieu modeste dans la fonction publique. Ce dispositif a permis de remettre au devant de la scène et d’élargir le dispositif des classes préparatoires intégrées créé en 2010. Près de 100 “Prépas Talents du service public” ont ainsi été déployées partout en France pour aider les étudiants ou demandeurs d’emploi, sous condition de ressources, à réussir un concours de la fonction publique. Alors que le gouvernement construit sa feuille de route pour la fonction publique, pour nous, élèves ou anciens élèves de Prépas Talents, il est plus que jamais nécessaire d’investir dans l’attractivité des services publics et de renouer avec la promesse républicaine d’égal accès aux emplois publics.
La fonction publique subit en effet depuis plusieurs années un déficit d’attractivité. Cette lame de fond, entretenue trop longtemps par une remise en cause des services publics et de leurs agents, se traduit par une chute vertigineuse des candidats aux concours administratifs. En 20 ans, le nombre de candidats aux concours externes de l’Etat a été divisé par presque 3. Si la fonction publique n’attire plus, elle souffre également d’un manque de représentativité. Alors que jadis, devenir fonctionnaire était un puissant moteur d’ascension sociale, servir son pays semble être devenu le privilège des classes supérieures. Un fils d’ancien élève de l’ENA a encore aujourd’hui 330 fois plus de chances de réussir à intégrer cette école que les autres. Nous le disons clairement, il n’y aura pas de nouvelle attractivité du service public sans une plus grande diversité sociale des agents qui le portent.
Dans ce contexte, les “Prépas Talents” constituent une passerelle nécessaire mais non suffisante pour renverser la vapeur. Depuis leur création, les Prépas Talents rassemblent en effet des étudiants ambitieux, aux parents ouvriers, agriculteurs, employés, représentatifs de toute la société et de tous les territoires. Chaque année, ils accèdent aux fonctions d’administrateurs de l’Etat, de directeurs d’hôpitaux, d’administrateurs territoriaux, deviennent commissaires des armées, douaniers, inspecteurs des finances publiques, etc. Ce sont autant de femmes et d’hommes qui viennent grossir les rangs d’administrations en première ligne pour relever les défis écologique, social et démocratique. Déjouant les pronostics, refusant l’image encore trop souvent donnée d’une fonction publique vieillissante et rigide, ces parcours n’auraient probablement eu lieu sans qu’on leur tende la main.
Les Prépas Talents ne peuvent toutefois à elles seules déjouer la crise systémique d’attractivité et d’intégration de la fonction publique. Toutes les Prépas Talents ne trouvent en effet pas leur public et les réussites sont parfois en deçà des espoirs annoncés. Ces constats appellent plusieurs remarques. D’une part, le monde du travail change et les attendus professionnels d’hier ne sont pas forcément les mêmes qu’aujourd’hui. L’ambition de diversifier le recrutement est vaine sans que les modes de recrutement ne soient eux aussi revus pour mieux prendre en compte, au delà du diplôme, les compétences transversales et éviter les biais de discrimination. Une grande réforme des concours est inévitable pour concrétiser l’ambition de la diversité.
D’autre part, certains esprits chagrins invoquent un “problème de vivier” et d’autres sous-entendent que les Prépas Talents acteraient un alignement vers le bas du niveau de recrutement. Nous pensons résolument le contraire et le taux de sélectivité de la voie “talents”, souvent plus élevé que le concours externe classique, l’atteste. La fonction publique est aujourd’hui déconnectée d’une large partie de l’enseignement supérieur et du service public de l’emploi. Combien de jeunes aujourd’hui savent comment s’engager dans le service public quand bien même ils en auraient envie ? Les Prépas Talents constituent désormais une des rares têtes de pont de la fonction publique au bénéfice des talents de demain. Il s’agit dès lors d’encourager plus fortement les vocations en inspirant les (plus) jeunes via des parcours de découverte et d’accompagnement à l’instar de ce que propose l’association La Cordée avec son programme « Ambition service public ».
En outre, la qualité d’accompagnement pédagogique et matérielle est essentielle pour donner toutes les chances de réussir. Chaque Prépa Talents doit pouvoir disposer effectivement d’un parcours pédagogique propre, d’un encadrement de proximité et d’un mentorat de qualité. En cela, la mise à disposition d’une banque d’enseignants-praticiens pour épauler notamment les universités porteuses des dispositifs serait utile. Il s’agit aussi de mieux soutenir les élèves. Trop d’aspirants “talents” ne bénéficient pas de solution effective d’hébergement et restent dans une précarité économique générant anxiété et encore souvent l’obligation de travailler à côté. Nous appelons à mettre en œuvre un revenu minimum de préparation aux concours, équivalent au doublement de l’actuelle bourse “Talents”, versée de manière mensuelle et à respecter une obligation d’attribution de logement à proximité du lieu de préparation.
Enfin, reconnaissons que la bataille de la diversité se mène au long cours. Donnons du temps à celles et ceux qui veulent s’engager sans autre bagage social que leur énergie. Nous proposons que soient expérimentées dès la rentrée de septembre 2023 des Prépas talents en apprentissage sur deux ans permettant d’alterner expériences professionnelles en administration et cours afin de donner toutes les chances de réussir.
Faire le pari des “Talents”, c’est permettre, par le recrutement de jeunes issus notamment des quartiers populaires, de la ruralité et de l’Outre-mer désireux de s’engager pour le service public, de favoriser l’émergence d’une nouvelle génération de fonctionnaires à l’image de la diversité de la société française. C’est aussi un moyen très concret pour l’administration de rester connectée au quotidien du pays pour en réussir les grandes transformations de demain. La reconquête de l’attractivité de notre service public sera longue et nous devons y investir sans hésiter.
Annie Ernaux déclarait dans un entretien en 2021, « dans les transfuges sociaux, les miraculés passent par là, par un métier où il n’y a pas besoin d’avoir un héritage économique ». Les métiers du service public peuvent et doivent être de ceux-là, car il n’y a pas de plus beau parcours que de gravir l’échelle sociale en étant utile aux autres.
Signataires :
Mélissa Ramos et Damien Zaversnik, co-présidents de l’association La Cordée et anciens élèves de la prépas talents de l’INSP
80 élèves de prépa talent : https://www.calameo.com/read/0072426539747e753849a